Christophe Vachaudez
23 February 2022
Le grand salon doré, bureau officiel des présidents de la République depuis Charles de Gaulle. © Ambroise Tézenas
Perle de ce patrimoine, l’Élysée occupe indubitablement une place de choix. La restauration récente de ses salons méritait bien une messe… ou plutôt un ouvrage qui détaille l’implication, les goûts et les choix mobiliers des occupants successifs, avec quelques surprises à la clef. Connu longtemps comme l’Hôtel d’Évreux, il n’a rien d’un palais, même si on le désigne comme tel aujourd’hui, et encore moins d’un Élysée, mais les aspirations des grands semblent bien insondables. L’édifice sort de terre comme un défi puisque son commanditaire, Louis de la Tour d’Auvergne, comte d’Évreux, fils du duc de Bouillon et de Marie Mancini, une nièce de Mazarin, veut éblouir le duc d’Orléans. Il a épousé Marie-Anne, la fille du financier Crozat, l’homme le plus riche de Paris selon Saint-Simon, et il compte bien profiter de sa dot. L’architecte Armand Claude Mollet est désigné pour concevoir élévations et distribution. Très vite, le bâtiment figure dans les recueils du temps qui ne tarissent pas d’éloge à son sujet. Ne peut-on lire : “Le plan de cet hôtel est peut-être un des mieux disposés et des plus réguliers que nous ayons décrits jusqu’à présent” ? Et Blondel de surenchérir en le décrivant “la plus belle maison des environs de Paris”, car il s’agit alors ici des faubourgs de la capitale. Les travaux durent au moins quatre ans, entre 1718 et 1722, quand certains décors, ceux des salons d’apparat, semblent déjà achevés. On conserve quelques rares vestiges de cette période, notamment des boiseries dans l’actuel Salon des Ambassadeurs.
Le style opulent de la salle des fêtes a été contrebalancé par l'aménagement nuancé effectué à la demande du couple présidentiel actuel. © Ambroise Tézenas
À la mort du comte d’Évreux, en 1753, le Roi acquiert l’ensemble à l’intention de Madame de Pompadour. Elle le fait immédiatement réaménager et sollicite les meilleurs artistes et marchands-merciers. Parmi eux, citons Jacques Verberckt, un ornemaniste et ébéniste anversois œuvrant à Versailles. La favorite n’en profite que quelques années, puisqu’elle disparait en 1764. L’hôtel, rétrocédé au souverain, sert d’entrepôt pour les collections de la Marquise qui seront vendues à l’encan, puis de résidence aux ambassadeurs et aux souverains étrangers de passage, parfois de lieu d’expositions pour les artistes du moment, avant d’être affecté au Garde-Meuble. Le financier Nicolas Beaujon qui l’achète en 1773, devra d’ailleurs attendre avant d’investir les lieux que Sa Gracieuse Majesté fasse évacuer ses biens. Le nouveau propriétaire donne carte blanche à l’architecte Étienne-Louis Boullée qui fera construire une galerie pour exposer ses toiles parmi lesquelles La Bohémienne de Frans Hals ou Les Ambassadeurs de Hans Holbein, aujourd’hui point d’orgue des collections de la reine Elizabeth II. Peu avant sa mort, il vend l’hôtel en viager au roi Louis XVI qui le réserve à sa cousine Louise-Marie-Bathilde, duchesse de Bourbon, et sœur du duc d’Orléans. Passionnée de chiromancie et d’astrologie, elle y organise de sulfureuses séances de spiritisme. À la révolution, la “Citoyenne Vérité” s’enfuit et l’hôtel renoue avec sa fonction d’entrepôt. Cependant, l’altesse déchue, acquise aux Jacobins, le récupère rapidement. Désargentée, l’aristocrate félonne loue son hôtel à un négociant de Courtrai, Augustin Benoît Hovyn, dont les fêtes et réjouissances s’inscrivent bientôt dans les annales. Sa fille y conservera un appartement et côtoiera notamment les parents d’Alfred de Vigny qui y ont pris leurs quartiers.
Sculpture en verre d'Ettore Sottsas. © Ambroise Tézenas
La demeure échoit ensuite à Joachim et Caroline Murat qui, mandés à Naples où ils sont bombardés roi et reine, la cèdent à Joséphine qui s’y installe avec sa fille Hortense. Napoléon y passe souvent, préférant le confort de cette demeure cossue au palais des Tuileries, “triste comme la grandeur”. Par la suite, l’impératrice Marie-Louise y emménage et requiert des appartements capitonnés pour que le roi de Rome ne se blesse pas. C’est dans le Salon d’argent que Napoléon signe son abdication avant de sortir par la porte du jardin, comme le général de Gaulle, bien des années plus tard, après le référendum. Sous la Restauration, l’élégante demeure est attribuée au duc de Berry et les redoutes succèdent aux bals masqués sous l’impulsion de sa jeune épouse, la princesse Marie-Caroline. Entre 1820 et 1830, quand la duchesse déménage aux Tuileries, il sert de pied à terre aux invités de prestige, un rôle qu’il continue à assumer sous Louis-Philippe, avant que Louis Bonaparte, futur Napoléon III, le trouve à son goût et se l’attribue. Une campagne de restaurations débute. Des lampes au gaz y font leur apparition, tandis que le salon doré et l’actuel salon des glaces, autrefois salle de bain de l’impératrice, sont conçus.
Le salon des portraits compte les effigies des grands souverains du XIXe siècle. © Ambroise Tézenas
Au terme du Second Empire, Adolphe Thiers y campe, alors que le maréchal de Mac Mahon s’y fixe avec les siens. Un jardin d’hiver est ajouté sous Jules Grévy, puis ce sera une salle de réception sous Sadi Carnot. Si l’électricité se généralise sous Félix Faure, il faudra attendre Vincent et Michelle Auriol pour que l’édifice soit rafraîchi. Le couple établit un lien avec le mobilier national et introduit des créateurs contemporains, comme Arbus ou Leleu, dans une salle à manger contemporaine de style “paquebot”. Contre toute attente, le général de Gaulle, qui parlait non sans humour du “meublé qu’est l’Élysée”, virilise la décoration en faisant remiser le style Napoléon III pour revenir à l’Empire pur et dur. Quant aux Pompidou, leurs aménagements intégraux mais réversibles feront couler beaucoup d’encre. Il en subsiste une salle à manger, un cabinet de toilette et un petit dressing. Le style Louis XVI fait son grand retour avec Valéry Giscard d’Estaing qui opère un rééquilibrage sans verser dans la reconstitution. François Mitterrand fait modifier ses appartements privés et impose une sculpture d’Arman dans le grand hall. Jacques Chirac ne s’ingère pas trop dans la décoration, alors que Nicolas Sarkozy donne le coup d’envoi de la restauration extérieure. François Hollande ne montre aucun intérêt pour l’édifice qui subit une restauration intérieure à l’initiative de Brigitte Macron.
Tapisserie d'Yves Oppenheim, livrée en 2010, dans le salon de Cléopâtre. © Ambroise Tézenas
Si le château de Vizille est devenu musée, comme celui de Rambouillet, et que le pavillon de Marly ou l’aile du Trianon sous-bois ne sont plus utilisés, et que le domaine de Souzy-la-Briche, rénové à grands frais pour François Mitterrand, a été alloué au Premier ministre, il reste le pavillon de La Lanterne et le Fort de Brégançon. Non loin de Paris, le premier convient parfaitement pour les fins de semaine reposantes. Construit en 1787 par le prince de Poix, capitaine des chasses et gouverneur de Versailles, le complexe est aliéné à la Révolution mais racheté sous la Restauration. Logement de fonction à partir de 1848, on loue le bel édifice à des milliardaires avant qu’il ne soit remis à la disposition de l’État. André Malraux y logera entre 1962 et 1969. Remis à la mode par Nicolas Sarkozy, il a aussi séduit Emmanuel Macron, mais l’intérieur qui a connu quelques adaptations contemporaines reste plutôt tristounet. Son cadre d’exception demeure son atout majeur.
Le Fort de Brégançon, perché sur un rocher dominant les flots méditerranéens, assure une parfaite tranquillité au chef de l’État. Sise à Bormes-les-Mimosas, l’intrigante résidence balnéaire, cernée par les oliviers, les lauriers, les pins parasols et les pins d’Alep, dispose maintenant, grâce à Monsieur et Madame Macron, d’une piscine qui a coûté près de 40 000 euros aux contribuables… Un investissement qui a fait grand bruit, d’autant qu’un escalier, plutôt raide il est vrai, conduit à une plage privée. Le fort, visité par le roi Charles IX et sa mère Catherine de Médicis, appartient aux souverains dès la fin du XVIe siècle. Son destin fluctuera au fil des époques. L’armée le quittera en 1919. Il sera loué, avant de retourner dans l’escarcelle des présidents successifs. Jacques Chirac y séjournera fréquemment, tout comme Brigitte et Emmanuel Macron, bénéficiaires actuels de ces propriétés, prestige de la France.
En couverture : Le grand vestibule de l’Élysée où les présidents accueillent leurs hôtes.
© Ambroise Tézenas
À lire
Résidences présidentielles, par Adrien Goetz, Éd. Flammarion, septembre 2021, 65 €, 320 p.