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So "Close" de Lukas Dhont

CinémaFilmInterview

Corinne Le Brun

09 November 2022

Dans “Close”, son dernier film, Lukas Dhont explore l’intimité de deux garçons dans une mise en scène fluide et gracieuse. Le réalisateur belge doit beaucoup aux jeunes acteurs -Eden Dambrine, Gustav De Waele- et à la finesse de leur interprétation. Ils réveillent en chacun des spectateurs le souvenir d’une certaine forme de bonheur logée dans l’enfance. Bouleversant, «Close» a reçu le Grand prix au dernier Festival de Cannes (1) et représentera la Belgique aux Oscars (2). Eventail.be a rencontré Lukas Dhont.

Léo et Rémi sont les meilleurs amis du monde. Ils ont treize ans, l’innocence chevillée au corps. Ils font tout, ensemble. Au point que certains camarades de classe croient qu’ils sont en couple. Un événement tragique va les séparer. Comment faire le deuil de l’amitié brisée, comme vivre sa masculinité, comment être soi?

Eventail.be – Comment la presse américaine a-t-elle accueilli Close ?
Lukas Dhont – Aux Etats-Unis, la masculinité s’articule fondamentalement autour du super héros. Certains journalistes américains sont réceptifs à l’idée de déconstruire la masculinité. Il y aussi des cinéastes intéressants comme Jim Jarmusch, David Cronenberg… La culture européenne, elle, est plus imprégnée d’une philosophie de la poésie et de l’intimité. Après, évidemment, la perception varie d’un journaliste à l’autre. Je fais des films et après, une œuvre se reconstruit en fonction du regard qu’on lui porte. J’avais des doutes mais les réactions étaient très bonnes. On assiste à un beau moment féministe. Mais cela veut aussi dire que la masculinité, souvent, est liée à des histoires négatives comme le pouvoir, l’abus, le combat… Montrer et parler d’une autre masculinité nous concerne tous. C’est le grand sujet d’aujourd’hui. Comment parler des hommes, comment réinventer la masculinité ? J’avais envie de montrer à l’écran une amitié fusionnelle. Close illustre cette relation très forte, y compris comme dans la deuxième partie du film : quand on perd un ami, on peut encore sentir sa présence parce que on veut le garder proche de nous.

© Piero Oliosi/Polaris/Photo News

– Léo et Rémi ont treize ans. L’âge de toutes les transformations ?
Ce qui est fort à cet âge, c’est ce moment très précieux, très court, situé entre l’enfance et l’adolescence. D’une part, l’innocence, la pureté, l’amour sans contact avec la société ; de l’autre, les étiquettes, la sexualité, le patriarcat… tout ce qui veut nous identifier à quelque chose. L’entrée dans l’école secondaire marque le début de l’adolescence: on se confronte avec les codes sociaux, la masculinité, la féminité, l’hétéronormativité, l’homophobie, la performance… À l’adolescence, on comprend qu’on veut appartenir à un groupe. On peut se détacher de soi-même pour vouloir appartenir au monde. J’adore travailler avec des préadolescents parce qu’ils sont encore très en confusion avec eux-mêmes. Les enfants sont des êtres très intelligents. Ils ont une intelligence émotionnelle très grande, ils sont encore très proches d’eux-mêmes. Après, comme adolescents, puis comme adultes, cette proximité avec soi est possible mais je connais des adolescents qui ont pris une distance avec eux-mêmes On a choisi l’âge de la préadolescence parce que c’est une étape entre ces deux états.

– Les parents des deux garçons essaient de comprendre…
On a vraiment essayé d’écrire ce film à hauteur du regard des préadolescents. Les parents sont importants par leur présence, certes. Mais je ne voulais pas montrer l’opinion des parents sur le sujet du film. Quand on a treize ans, ce qu’on ressent, on le garde pour soi. On ne communique pas toujours avec nos parents parce que tout se passe pour la première fois dans notre corps. Il y a des désirs qu’on commence à apprendre. Tout est nouveau et on ne sait pas ce qui est permis ou pas. Il y a une notion de gêne. Dans le film, il y a une relation très émotionnelle entre deux garçons, mais ils parlent, ils utilisent des mots. Leur amitié s’arrête, leurs paroles aussi. Ils n’ont plus cette personne à laquelle ils peuvent exprimer ces émotions qu’ils avaient envie de dire. Pour moi, cela montre l’importance, pour le jeune, d’avoir des relations très intimes où il peut exprimer ce qui se passe en lui. C’est une nécessité humaine.

© DR

– Le film aurait-il pu se faire de la même manière avec une fille ?
Les filles et les femmes ont leur propre combat, leur émancipation à mener. Une amitié féminine est plutôt faite de sensualité, qu’on a déjà beaucoup plus vue. La sensualité dans une amitié masculine est encore exotique. Après, dans notre monde, on a peur de la féminité. On a peur de tout ce qui est doux parce que on dit un rôle fort quand elle exprime un sentiment beau tout ce qui est fort et dur, on le met toujours en évidence. Tout ce qui est doux et tendre on le minore toujours. Depuis longtemps, on relie tout ce qui est féminin avec l’élégance, la douceur. Alors qu’on a tendance à associer le masculin avec la force, le pouvoir. On est dans un monde où ces stéréotypes commencent à bouger, à devenir beaucoup flous et cela m’intéresse beaucoup.

– Les deux jeunes protagonistes jouent pour la première fois. Pourquoi ce choix ?
Quand tu travailles avec des enfants de treize ans, cela serait quand même unique qu’ils aient déjà joué. J’adore travailler avec quelqu’un qui n’a pas d’expérience et un acteur qui en a beaucoup. Car entre ces deux mondes, il y a une vraie beauté. Le partage entre l’intuition et la technique peut être très fort. J’ai rencontré Eden sur le train, par hasard. J’ai vu Gustav pour la première fois dans une classe de théâtre à Bruxelles. Il a eu immédiatement un impact très fort sur moi, il m’apparaissait comme un jeune ange avec une beauté et un mystère énorme. Eden, c’est comme si je le (re)connaissais immédiatement. Comme si je savais qui il était.

© Kris Dewitte

– Où avez-vous tourné ?
Principalement en Belgique, à Wetteren. Et pour les grands champs de fleurs, nous sommes allés aux Pays-Bas à Zundert où les dahlias sont de couleurs très belles.

– Vous avez gardé des amis d’enfance?
J’étais un enfant qui, à un certain moment, avait peur des relations trop intimes parce je craignais d’être vu et jugé. Et pour cela, j’ai créé une certaine distance entre moi et des personnes qui ont essayé de devenir proches. J’étais un jeune garçon qui était en conflit avec la masculinité. J’avais la sensation que je ne pouvais pas la gérer parce que j’étais plus doux, tendre, sensible. À un certain moment, je comprenais que cette sensibilité gênait les gens autour de moi et qu’elle n’était pas vraiment acceptée. J’ai commencé à jouer la masculinité, j’ai pris plus distance avec le langage émotionnel et mon entourage. L’indépendance est une qualité liée à la masculinité. Je me suis conformé. Beaucoup d’amis voulaient rester dans la relation proche que j’ai gardée à distance parce que j’avais peur de cette intimité. Ce film est un hommage aux amis que j’ai perdus. Il raconte l’amitié mais aussi la mémoire de l’amitié. Ce qui est beau dans le film, c’est qu’on peut tous se projeter sur une relation qu’on a eue dans sa propre vie.

1 : Ex-aequo avec «Stars at noon» de Claire Denis.
2 :  «Close» a remporté le premier prix du 30e Hamptons Film Festival, le prix du meilleur film au Festival du film de Haïfa, notamment. Il figure parmi les nominés au meilleur film international des British Independent Film Awards (BIFA).
3 : “Girl” a remporté la Caméra d’Or au Festival de Cannes, en 2018.

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Paris

Informations supplémentaires

Titre

Close

Réalisation

Lukas Dhont

Distribution

Eden Dambrine, Gustav De Waele, Emilie Dequenne et Léa Drucker

Sortie

En salles

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