Nathalie Dassa
06 May 2025
Église Sainte-Dominique, Wladyslaw Pienkowski, 1985-1994.
Église de San Nicolao della Flue, Milan, Ignazio Gardella, 1968-1969.
Depuis près de vingt ans, Jamie McGregor Smith sonde les traces architecturales de l’histoire humaine, le mouvement néo-topographique américain et la beauté du paysage industriel qui disparaît et se transforme. Après sa série Brutalist London, centrée sur l’impact des bouleversements sociaux de l’Europe d’après-guerre, il poursuit dans cette veine à travers le livre Sacred Modernity. Ici, le photographe britannique, installé à Vienne, nous offre une exploration bien plus fascinante encore : celle des architectures chrétiennes qui rompent radicalement avec le traditionalisme. “Ma première visite a été à l’église catholique Wotruba [dans l’arrondissement] de Liesing, à Vienne, explique-t-il dans la préface. Le concept est né d’une sculpture, l’artiste croyant que son projet lui avait été transmis par Dieu en rêve. J’étais stupéfait que cette œuvre d’art progressiste, composée de 152 blocs de béton irréguliers, ait été commandée par une institution aussi conservatrice. Elle a redéfini mon idée de ce que pouvait être une église : à la fois belle et brutale.”
St.Matthew, Düsseldorf, 1972.
Jamie McGregor Smith nous offre ainsi un pèlerinage photographique de plus de quatre ans à travers l’Europe, immortalisant une centaine de lieux sacrés qui ont marqué “l’alliance de l’Église avec l’architecte athée” dès le début des années 1960. Il scinde ici en plusieurs chapitres l’approche innovante de l’architecture ecclésiastique, où s’entremêlent les formes et les textures, le brutalisme et l’expressionnisme structurel. Du Royaume-Uni à l’Italie en passant par la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche ou la Pologne, ces joyaux invitent à l’émerveillement et à la curiosité. Les églises abandonnent non seulement le style gothique et byzantin, anguleux et cruciforme, mais préfigurent aussi les mutations des sociétés, embrassant une spiritualité individuelle. “Ces bâtiments sont une passerelle entre deux mondes : les Lumières et le dogmatisme, l’historicisme et le futurisme, le rationnel et le surnaturel”, poursuit Jamie McGregor Smith. Entre texte et images, il analyse ainsi avec simplicité et profondeur les multiples définitions du sacré. Le brutalisme, jusqu’alors dédié aux bâtiments administratifs, législatifs, sociaux et culturels, ouvre des nouvelles perspectives.
Église Pie - Meggen, Suisse - Franz Füeg, 1964-1966.
Temple marial de Monte Grisa Trieste Italie Antonio Guacci 1963-1965.
“Certaines de ces églises sont joyeusement hostiles, d’autres froidement minimalistes. Plusieurs ressemblent à des bunkers militaires ou de la guerre froide, d’autres encore à des intérieurs lumineux de vaisseaux spatiaux rappelant la science-fiction du milieu du XXe siècle. Ces objets reflètent tout aussi bien l’esprit du temps de leur époque que le message chrétien traditionnel”, souligne-t-il avec enthousiasme. Sacred Modernity sonde finalement un pan peu mis en lumière. Cette volonté, née du Concile Vatican II de démontrer la pertinence de l’Église catholique dans la société contemporaine, a permis aux architectes de s’écarter librement de la typologie des lieux de culte.
Au fil des pages, Jamie McGregor Smith nous emporte dans ce voyage céleste, abordant la théologie apophatique (la nature de Dieu dans ce qu’il n’est pas), l’illumination entre lumière et obscurité, la symbolique de l’arche et les notions d’omniprésence, de transcendance et d’incarnation. Chacune de ses photos capte cette monumentalité et cette esthétique protéiforme dans l’évolution et la patine de leurs matériaux et de leurs idéaux. “Que l’on croie en Dieu ou non, elles restent impressionnantes”, confie ce quadragénaire virtuose. Un regard plein de sagesse.
Photos : © Jamie McGregor Smith
Livre
Sacred Modernity
Auteur
Jamie McGregor Smith
Éditeur
Éd. Hatje Cantz, mars 2024.
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