Nicky Depasse
07 May 2025
L’Eventail – Qu’est-ce qui vous a amené à écrire sur les enfants orphelins de la Révolution française?
Victoria Mas – Mon ignorance sur le sujet dont l’existence de Marie-Thérèse de France puisque je croyais à tort que la révolution avait eu raison de toute la famille royale. En visitant le château de Versailles, j’ai découvert qu’il y avait eu une survivante et que ce fait était méconnu de la plupart des gens. De plus, l’histoire de son enfermement au Temple m’a tellement émue et marquée que j’ai voulu approfondir l’histoire de sa vie. Ainsi l’idée d’en faire une héroïne, au même titre que sa mère, qui a pris beaucoup de place dans énormément de récits, m’a paru être une évidence.
– Comment avez-vous abordé vos recherches historiques pour rendre le récit aussi fidèle aux événements de l’époque, tout en y intégrant de la fiction ?
– L’équilibre entre le respect de la réalité historique et la part romanesque est toujours un enjeu. J’ai voulu apporter un visage dans la révolution car autant on en parle en termes de figures et de dates, autant on n’évoque jamais son impact psychologique sur la population. De la même manière, on a peu de témoignages du peuple qui a traversé toute cette violence, en souffrant parfois dans sa propre chair. Je me suis donc inspirée des mémoires de Marie-Thérèse de France écrites sur son enfermement à la Tour du Temple jusqu’à la mort de son frère, un document très précieux, en y ajoutant des personnages fictifs comme le narrateur qui est son geôlier et l’histoire d’un amour naissant.
– A travers ce récit, vous soulignez la résilience et le courage de cette fille face à l’adversité.
– Marie-Thérèse entre au Temple à l’âge de treize ans et en sort, seule survivante, quand elle a dix-sept ans. Elle y subit la séparation avec son père, sa mère, son frère, sa tante. Isolée, sans jamais sortir de sa cellule, elle est soumise à la cruauté des geôliers qui viennent la réveiller la nuit, ne lui donnent aucune information sur le sort de ses proches. Elle perd même l’usage de la parole dans sa solitude. La révélation, un an après les événements, est un véritable coup de massue mais à aucun moment, elle ne perd sa dignité, ni son humanité. C’est un exemple de courage, surtout à un si jeune âge.
– Le récit est raconté sous forme épistolaire, à travers le courrier d’un révolutionnaire républicain qui tombe amoureux d’elle et se confie à sa tante. Pourquoi ?
– J’ai éprouvé très vite la nécessité de raconter cette histoire à la première personne, pour être plus intime, plus proche des événements en cours. L’idée d’une correspondance retrouvée m’est apparue la plus pertinente, à savoir celle de Joseph Herbelin à sa tante. Il est orphelin, comme elle, l’identification va donc s’ajouter à l’admiration et l’affection qu’il développe à son égard. Marie-Thérèse n’est plus uniquement un personnage historique mais une jeune fille vivante et résistante qui va faire voler en éclats les convictions du jeune homme et affecter toute sa vie.
– La recherche de sources exactes pour documenter ce roman a-t-elle été compliquée ?
– Je devais être proche de la vérité historique pour respecter la mémoire et l’identité de ces personnages qui ont existé. Je me suis ainsi inspirée des carnets de Cléry, le valet de chambre de Louis XVI, pour me situer au mieux à l’intérieur de cette tour du Temple qui a été détruite et qu’on ne peut plus visiter comme la Conciergerie où Marie-Antoinette a passé quelques mois avant son procès. Ce document et toutes les archives disponibles à la Bibliothèque Nationale sont heureusement accessibles aujourd’hui. Ils permettent d’avoir accès aux faits mais aussi aux voix, au langage de l’époque. C’est jouissif d’apprendre, de s’enrichir soi-même tout en racontant une histoire. Et la fiction permet de mettre en avant le réel par rapport à l’énumération de faits et de dates.
– On se trouve donc bien en face de la véritable Marie-Thérèse de France ?
– Oui et même plus. Tous les mouvements de foule autour du Temple se sont réellement produits. On est passé d’une personne haïe à une victime pour qui on a de la compassion, la véritable figure de la princesse enfermée en haut d’une tour. Cette jeune fille enfermée cristallise toutes les émotions contraires, de la détestation à l’adoration, pour le peuple français qui perd pied au fil de tous ces mouvements de violence, de la Terreur aux massacres de septembre, pour finir par éprouver une sorte de nostalgie de la monarchie.
– Ma dernière question est très intime : êtes-vous plutôt pour la république ou pour la royauté ?
– La question ne se pose vraiment plus aujourd’hui. Nous sommes en république, nous sommes les héritiers de cette époque. Ce qui m’intéressait n’était pas de parler de la révolution mais d’évoquer les gens qui ont vécu ces événements et d’essayer de comprendre ce qu’ils ont produit comme traumatismes. Ainsi de Joseph et de la génération suivante qui ont énormément pâti de la violence de cette époque. Encore aujourd’hui, en France, nous sommes énormément marqués par la révolution qui fait partie de notre inconscient collectif. La monarchie reste malgré tout les racines de la France, les racines d’une culture dont nous nous sommes émancipés mais que nous ne pouvons pas renier.
Titre
L’orpheline du Temple
Auteur
Victoria Mas
Editeur
Albin Michel
Sortie
Mars 2025
Sur internet
Publicité
Publicité