Martin Boonen
10 September 2025
La scène est brutale. Un juge en robe et perruque s’apprête à abattre son marteau sur un manifestant à terre, tandis que la pancarte de ce dernier, maculée de sang, reste vierge de tout slogan. Ce contraste entre l’autorité figée et la violence suggérée inscrit l’œuvre dans une continuité esthétique propre à Banksy : juxtaposition de symboles contradictoires, noir et blanc rehaussé de touches évocatrices, et surtout, un message immédiatement lisible par tous.
© Banksy
Plus qu’une fresque, c’est une dénonciation directe de l’institution judiciaire. Installée sur un mur emblématique du pouvoir britannique, cette composition transforme la Royal Courts of Justice en toile de fond d’un procès à charge contre la démocratie contemporaine.
L’œuvre n’est pas tombée du ciel. Elle surgit deux jours après une manifestation à Londres en soutien au groupe Palestine Action, récemment interdit par les autorités britanniques et classé “terroriste”. La répression fut sévère : 890 arrestations, des accusations lourdes, et une opinion publique divisée. C’est dans ce climat explosif que Banksy intervient.
L’image du manifestant ensanglanté incarne la brutalité d’un État qui, selon ses détracteurs, instrumentalise la loi pour museler la dissidence. L’organisation Defend Our Juries y voit une mise en accusation explicite : “Quand la loi sert à écraser les libertés civiles, elle ne tue pas la dissidence. Elle l’alimente.”
Ironie du sort, l’œuvre a été recouverte quelques heures à peine après sa révélation. Palissades noires, barrières métalliques, surveillance constante : la censure a été presque instantanée, mais n’a fait qu’attiser l’attention. Comme l’a résumé Elon Musk sur X (ex-Twitter) : “Plus ils essaient de le cacher, plus cela apparaîtra.“
© Justin Ng/ Avalon
© Victoria Jones/Shutterstock
En camouflant une œuvre dénonçant la censure, les autorités ont involontairement validé le propos de l’artiste. C’est là toute la puissance du langage Banksy : son art existe autant par sa présence que par sa disparition.
Cette fresque s’inscrit dans le sillage des œuvres les plus politiques de Banksy : du Flower Thrower en Cisjordanie au Walled Off Hotel à Bethléem, l’artiste a souvent associé son art à la cause palestinienne. Mais au-delà de ce prisme géopolitique, il aborde ici la question plus large de la liberté d’expression au Royaume-Uni.
Le Walled Off Hotel, à Bethléhem © DR/Shutterstock.com
Son langage artistique (direct, poétique, provocateur) interroge depuis deux décennies les contradictions du monde occidental : démocratie versus sécurité, expression versus contrôle, art versus institution.
L’œuvre récente rappelle pourquoi Banksy demeure un acteur central de l’art contemporain : son anonymat n’est pas un gimmick, c’est une stratégie de dissidence. En refusant le système des galeries, en choisissant les murs et non les musées, il redéfinit les frontières de l’espace public comme terrain politique.
"Flower Thrower", Banksy © DR/Shutterstock.com
Et en frappant là où ça fait mal (sur les murs d’un tribunal, au cœur du pouvoir judiciaire) il réaffirme que l’art peut encore faire scandale, interpeller, déranger. Même s’il disparaît.
La fresque de la Royal Courts of Justice n’est pas une simple provocation. C’est un rappel : dans une époque où la contestation est criminalisée, l’art de rue reste un acte de résistance. Banksy ne se contente pas de peindre des murs. Il ouvre des brèches.
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