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Martin Boonen

23 June 2022

À une époque où les « concepts culinaires » fleurissent partout, tous plus éphémères les uns que le autres, la constance de Senzanome, depuis 30 ans, détonne et impressionne dans le petit monde de la gastronomie, parfois si frivole, où les succès se font et se défont, au gré des notes dans les guides professionnels ou sur les réseaux sociaux. Une longévité qui s’inscrit en plus dans une tradition d’excellence : étoilé (sans discontinuer) depuis 2004, élu meilleur restaurant italien d’Europe hors Italie deux années de suite (2011 et 2012) et enfin, 13e meilleur restaurant italien au monde (hors Italie) dans le très sérieux classement 50 Top Italy. Malgré ces incroyables marques de reconnaissances, à l’image de son enseigne, au Sablon, Senzanome reste une adresse discrète. Un signe d’élégance dans le tumulte de la communication parfois tapageuse de ce marché ultra-médiatisé et concurrentiel ? Nous aimons le penser…

La salle du Senzanome

© Senzanome/DR

Dégustation et travail

Nous arrivons au restaurant à 12h30 tapante. Nous sommes accueillis par un jeune homme que nous prenons (nous lui présentons nos excuses) pour un commis. C’est-à-dire qu’avec sa tête d’ange, on donnerait à Brad Verbelen le bon Dieu sans confession. Mais ne vous y trompez pas, du haut de ses 22 ans, cela fait déjà 5 ans qu’il travaille dans les caves de Senzanome. Depuis un an, c’est même lui qui officie comme sommelier en chef. D’ailleurs, malgré son jeune âge, ses sens de la dégustation sont aussi affûtés que ceux d’un vieux briscard du goût… si ce n’est plus !

Brad Verbelen

Brad Verbelen, tout jeune chef sommelier du Senzanome © Senzanome/DR

Au menu du jour : des vins effervescents (méthode traditionnelle, comme en Champagne) Trento DOC, appellation d’origine contrôlée du Trentin, dans le Nord de l’Italie. Le vigneron, de la maison Revi, est présent, accompagné par son représentant commercial en Belgique. Brad compte sept bouteilles à déguster et regarde sa montre (le service de 13h approche à grands pas) : « Ça va, quinze minutes suffiront » dit-il soulagé.

© Senzanome/DR

La séance commence, studieuse. Mais qu’attend le sommelier de ce genre d’exercice ? « D’abord, augmenter mes connaissances. On a toujours des choses à apprendre. Le vin, c’est inépuisable… Les bulles du Trento Alta Adige, ne sont pas très connues. J’ai dû déguster celles de trois ou quatre maisons différentes en 5 ans. C’est très peu » reconnaît-il volontiers, avec cette humilité qui convient bien à la maison qu’il sert. « L’Italie se renouvelle depuis quelques années, et ses vignerons progressent énormément. Il y a donc toujours une appellation à redécouvrir. Il ne faut pas avoir d’ idées arrêtées dans ce métier : notre matière est si complexe, si changeante. » Allons donc pour la découverte. Brad prend des notes, complète les fiches techniques fournies par le vigneron. La dégustation avance bien : il sera à l’heure pour son service. C’était sans compter sur l’arrivée du chef, Giovanni Bruno.

Le chef Giovanni Bruno © Senzanome/DR

Avec lui, c’est toute la chaleur de l’Italie qui fait son entrée dans la pièce et le temps semble curieusement se ralentir. L’atmosphère se détend un peu. La dégustation reste concentrée, mais les dialogues en italien entre le chef et le vigneron apportent un peu de couleur à la séance. Cause à effet ou non, l’arrivée du chef correspond à celle de mise en bouche pour accompagner notre effort. Ces bouchées représentent en fait quelques plats signatures du chef. Elles vont susciter et servir la question des accords des vins dégustés avec la cuisine du chef. On trouve parmi-elles : la foccacia à l’huile d’olive, parmesan et lard de Colonnata, et un toast au beurre piémontais, anchois de Cetara (en Campanie) et gel de citron de Sorrento. À propos de celle-ci, le chef s’arrête sur une cuvée rosée : « on sent bien l’amertume du pinot noir, c’est rare chez les vins effervescents. C’est très agréable avec le gras du beurre, l’iode de l’anchois et l’acidité du citron dans cette bouchée ». Le chef décrypte, analyse, commente. C’est net et précis. Il sait ce qu’il veut. « C’est le devoir d’un chef d’avoir une vraie connaissance œnologique. Il faut savoir et pouvoir s’appuyer sur la science de son sommelier, mais le chef doit aussi connaître le sujet. La cuisine peut inspirer une association avec un vin en particulier, ou un type de vin. Mais l’inverse est vrai aussi. Parfois un vin peut inspirer une recette ! C’est pour ça que je travaille de si près avec Brad. »

© Senzanome/DR

© Senzanome/DR

© Senzanome/DR

© Senzanome/DR

© Senzanome/DR

D’ailleurs, Giovanni Bruno n’en fait jamais trop, il ne tire pas la couverture à lui. Il laisse son sommelier prendre ses notes, se faire son propre avis. « Un vin du Senzanome est un vin élégant, avec une personnalité marquée… aucun vin chez nous ne se ressemble (et pourtant, la carte compte près de 200 références, dont une quarantaine disponible au verre ! Ndlr). La cuisine du chef est délicate, il faut donc quelque chose pour la mettre en valeur sans l’écraser… s’il le vin est minéral, il ne peut être seulement minéral, il devra être un peu salin, un peu citronné aussi, pour éviter qu’une saveur ne prenne le pas sur toutes les autres. » explique le sommelier. Brad Verbelen est un funambule qui marche sur le fil de nos papilles.

La cuvée Paladino, de la maison Revi a retenu ce jour-là, l'attention du chef et de son sommelier © Revi Trento DOC

30 ans de cuisine italienne en Belgique

Le chef, lui, de son côté, entre deux remarques à son compatriote vigneron, se livre : « je voudrais voir le retour du fiasco (fiasque – ces fameuses bouteilles de vin de deux litres environ, enchâssées dans un panier de paille, ndlr). Un fiasco haut de gamme bien sûr, mais un vrai fiasco parce que le fiasco, c’est le partage, et la cuisine italienne, c’est ça, depuis la rue jusqu’à la table gastronomique. » Il raconte alors : « Trop longtemps, on a résumé la cuisine italienne à la pasta et aux pizze. J’ai voulu casser cette caricature. Quand je suis arrivé en Belgique, j’étais trop jeune pour imposer ma cuisine. Elle ne plaisait pas. Elle n’était pas assez italienne pour les palais belges. Pourtant, Italien de souche que j’étais, je ne voyais pas comment je pouvais faire plus italien que la cuisine de chez moi. L’on nous disait que ça manquait de tomate, de viande, de crème… J’ai donc dû commencer par faire des compromis mais notre cuisine n’avait plus d’italiennne que le nom… et encore ! Quand un Italien venait manger chez nous, il ne reconnaissait plus rien. Mais nous venions d’Italie en Belgique pour travailler, pas pour attendre le client et lui expliquer ce qu’il fallait manger et comment le déguster. Ce n’était pas notre état d’esprit. Nous nous sommes adaptés au goût de la nation dans laquelle nous nous étions installés. Et c’était la même chose en Allemagne ou aux États-Unis. Ce que je sers aujourd’hui au restaurant, je n’aurais jamais pu le faire au début. » Finalement, au prix de nombreux efforts, le travail de Giovanni Bruno a été récompensé de la plus belle des façons. Son étoile Michelin et ses titres de meilleur restaurant italien d’Europe hors d’Italie ou sa 13e place mondial du 50 Top Italy sont des consécrations plus que méritées

© Senzanome/DR

© Senzanome/DR

© Senzanome/DR

© Senzanome/DR

© Senzanome/DR

“Je vais nous faire des pâtes”

La dégustation touche à sa fin. Le chef se lève alors et déclare « je vais nous faire des pâtes ! » L’heure du déjeuner était en effet arrivée. Giovanni Bruno se lève alors, débarrasse la table et va tout rapporter en cuisine. Il revient quelques minutes avec une paire de couverts. Au gré de ses aller-retours avec la cuisine, ce sont trois paires de couverts qui viendront s’aligner devant nous. Ce déjeuner improvisé se décline donc finalement en trois services (dont sa “famosa caprese : une emulsion de stracciatela burrata, sorbet de tomates, huile d’olive au basilic, qui a contribué à la renommée de la maison). Mais c’est ça, Giovanni Bruno, c’est ça Senzanome : de la générosité, du partage, mais aussi une forme de discrétion et d’humilité, toujours guidée par l’excellence.

Le chef Giovanni Bruno au travail © Senzanome/DR

Après trente ans à ce niveau, Senzanome est une adresse historique à Bruxelles. Gageons qu’elle offrira le meilleur de l’Italie à ses clients encore très longtemps.

Bernard Réquichot, « Episode de la guerre des nerfs », 1957

Arts & Culture

France, Paris

Du 03/04/2024 au 02/09/2024

Informations supplémentaires

Restaurant

Senzanome

Distinction

  • 1 étoile au Guide Michelin (depuis 2004)
  • meilleur restaurant italien d’Europe hors Italie (2011, 2012)
  • 13e place mondiale au 50 Top Italy

Adresse

Place du Petit Sablon, 1
1000 Bruxelles

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