Florence Hernandez
19 March 2024
Inspirée des enseignements de Rudolf Steiner, la biodynamie va plus loin que l’agriculture biologique. Selon ses préceptes, la vigne est un organisme vivant, interconnecté avec la nature et les cycles cosmiques, qui vit au rythme des quatre éléments si chers à Aristote. Appliquer ces principes à la viticulture, c’est découvrir un monde sensible, relié, connecté, plus sensoriel que sensuel, où rien n’est figé, à l’image de ces vins qui concentrent les quatre éléments (air, feu, terre et eau) si chers au philosophe grec. Convaincue que la nature s’exprime par interactions et que la vigne a cette capacité unique de capter ces “informations” et de restituer le langage de son lieu de naissance dans ses raisins, la biodynamie a pour but de prendre en considération tous les protagonistes de cette conversation naturelle. Le sol, la plante, les êtres qui y travaillent et l’environnement, du plus proche au plus loin-tain, tout a du sens. Rien de magique ou de surnaturel dans ses pratiques, ni dans cette prise de conscience d’ailleurs : juste une ode au naturel, à l’observation, à la patience et à l’humilité.
En appliquant les lois de la biodynamie, la nature fait don de générosité, de dévotion, de talent, de beauté lumineuse en tout, comme une conjonction astrale. À la saveur du temps scellé dans ses précieux flacons s’ajoute le calendrier des “jours fleurs” et des “jours fruits” pour créer des vins qui nous mettent en contact avec la nature, c’est à dire avec nous-mêmes. Une aventure holistique riche d’enseignement car la terre rend au centuple les attentions qu’on lui porte en bonifiant, millésime après millésime, les vins de ses vignobles aux allures de jardin. À l’image de ceux de Michel Chapoutier en Côte-du-Rhône depuis 1990 ; de Frédéric Engerer (gérant des domaine viticoles du groupe Artemis, dont le château Latour est l’un des fleurons) en collaboration avec Jérôme Malet au domaine de Fontbonau dans la partie septentrionale des Côtes-du-Rhône ; ou encore d’Alain Moueix au château Fonroque, précurseur de cette théorie sur l’AOC de Saint-Émilion.
Ces vignerons, refusant de simplifier ce qui est complexe par nature, favorisent la biodiversité, travaillent avec des préparations naturelles, croient en la mémoire de l’eau et suivent un calendrier lunaire pour pratiquer les travaux viticoles. Ce sont des vins difficiles à réaliser, car assortis de multiples contraintes et d’autant de défis. La sensibilité aux conditions météorologiques, les rendements plus faibles et la complexité des processus demandent un savoir-faire exceptionnel et une connaissance approfondie du végétal. Mais le résultat est là : les vins sont authentiques, révélateurs du terroir et de l’énergie du lieu. Dans leur finesse et leur élégance, les jus extraits rappellent la pureté du sol.
Les vins naturels, quant à eux, expriment le minimalisme en cave. Ils ont le vent en poupe, car, au-delà du plaisir gustatif, choisir de consommer des vins en biodynamie ou des vins naturels, c’est soutenir une viticulture respectueuse des écosystèmes. La biodiversité est préservée, les sols sont nourris naturellement et l’empreinte carbone est réduite. Bien au-delà d’une tendance ou d’une mode, ce type de vins représente une philosophie qui allie l’amour du breuvage à un profond respect pour la nature, aux raisins purs et sains. Pour ce qui est du vin naturel, la démarche va plus loin. Les vendanges doivent être réalisées à la main et aucun intrant, ni aucun produit de synthèse n’est toléré. Quant à la main de l’homme, elle doit être le moins interventionniste possible : pas de collage, pas de filtration. Le vin naturel respecte le vivant jusqu’à la mise en bouteille.
Reconnaissables grâce à des labels type Demeter et Biodyvin, les vignerons affiliés doivent respecter un cahier des charges extrêmement contraignant et qualitatif à la fois, qui demande de réduire au maximum les intrants chimiques (ce terme désigne les produits autorisés lors de la vinification, comme les acides lactique, tartrique, ascorbique et malique), les levures, les enzymes et les correcteurs d’acidité, et d’opter pour des levures indigènes, tout en minimisant les interventions. L’idée est de laisser le raisin s’exprimer librement et sans artifices.
Ces vins peuvent être naturellement pétillants, mais ils captent l’essence même du raisin et du processus de vinification. En dégustant un vin en biodynamie ou un vin nature, on s’engage dans un voyage sensoriel unique. Les arômes et les saveurs sont plus authentiques, reflétant la typicité du cépage et du terroir. Ce sont des vins qui peuvent présenter une complexité surprenante, avec des notes florales, minérales ou fruitées, selon les pratiques viticoles. Vins de sensibilité, de fulgurances, de tonicité, à la fois plus fins, plus vivants et plus précis, ils sont empreints de cette douce nostalgie qui invite au détachement du terrestre vers le spirituel. Un vin dévoile ce qu’il suggère, une présence aussi visible qu’insaisissable. La nature comme source d’ivresse ne serait-elle pas la quintessence de la civilisation ?