Agnès Zamboni
13 July 2024
Christophe Gevers (1928-2007) a tout récemment fait l’objet d’une exposition, L’Architecture du détail, au Design Museum de Bruxelles qui conserve les archives transmises par sa femme Françoise. “On ne connaît que 10% de ce qu’il a réalisé. Entre grands restaurants d’entreprise, chantiers de particuliers, bureaux, cafétérias, son œuvre est immense. À Bruxelles, il a notamment réalisé l’aménagement de la taverne des Beaux-Arts et l’intérieur du restaurant Au Vieux Saint Martin (toujours conservé), avec son plafond laqué rouge vermillon et son mobilier ‘gain de place’. Autodidacte, devenu professeur, il était autant designer que scénographe, architecte d’intérieur que graphiste. On peut le comparer à Carlo Scarpa ou Michele De Lucchi ! Il a mis au point des systèmes très ingénieux”, rappelle Thierry Belenger, collectionneur et ami de Christophe Gevers qui avait organisé sa seconde exposition, en 2008. Il possède quelques modèles rares, comme une simple chaise se transformant en chaise longue… Quant à la firme Be-Classics, elle réédite depuis quarante ans les créations de Christophe Gevers. Citons la chaise TBA qui a reçu le Signe d’Or en 1959, le siège et la table CG73 de 1973, le tabouret Cap d’argent en cuir avec dos lacé, créé en 1971, la table CG66 de 1966… Un esprit sixties et seventies qui a résisté aux tendances éphémères.
Bureau de Fond Coron Habitation 62, maison construite par et pour Christophe Gevers et sa famille en 1962, à Ohain © Jean-Pierre Gabriel
Chaise TBA, créée en 1959. © Fondation Archives Design
Il avait imaginé le logo de son agence, son papier à lettres pour courrier professionnel, l’identité graphique de la chaîne de restaurants fast-food Quick et mis au point un étui à cigarettes très pratique, pour son propre usage. Le choix de matériaux durables et l’utilisation de couleurs primaires, appliquées avec une minutie faisant penser à de la laque, sont les deux composants de sa signature, mais pas seulement. Gevers donnait naissance à des espaces intelligents, des astuces comme un système d’ouverture inattendu, une idée neuve pour déplacer un plan de travail. Sa maison alliant lieu de création et habitation personnelle reste un modèle de cohabitation entre vie privée et professionnelle. Il a réinventé le métier d’architecte d’intérieur, créant des connexions visibles ou discrètes entre les éléments, les espaces, les formes, les êtres humains…
Christophe Gevers aimait les aplats de couleur, comme on peut le constater avec son prototype pour le logo mobile des restaurants Quick. © Fondation Archives Design, Christophe Gevers
Meubles regroupés pour l’exposition Christophe Gevers. L’Architecture du détail au Design Museum Brussels, dont deux tables jumelles dessinées pour le Canterbury, à Ixelles. © BE Culture
Il s’imprégnait du lieu pour créer une habitation en phase avec l’environnement, les désirs de ses futurs occupants, optimisant l’espace. Ses aménagements étaient conçus pour composer une œuvre totale, comme en témoignent ses maquettes très précises, incluant déjà des scénarios de vie. Réalisées avant les plans, en tant que visualisation 3D des futurs volumes, elles deviennent des bases de discussion avec leurs futurs occupants. Côté design, l’homme portait un grand intérêt à la fabrication, interpellé notamment par les techniques de pliage du métal ou du plexiglas. Après le dessin et la conception, il se frottait aux matériaux, à leurs contraintes et leurs forces, pour que ses créations prennent vie, maîtrisant la chaîne de production. Son mobilier était fabriqué sur mesure, en fonction d’un projet précis, et réalisé soigneusement à la main par lui-même et ses artisans ou à l’aide de machines installées dans son propre atelier.
Dernier étage sous les toits d’une maison conçue par Christophe Gevers pour la famille Oostoek. © Jean-Pierre Gabriel
Utilisation de matériaux authentiques et solides, choix de formes simples, les créations de Christophe Gevers ne sont pas des produits de consommation. Elles sont destinées à vieillir harmonieusement et à traverser le temps. Aujourd’hui, les pièces anciennes et uniques, non rééditées, de Christophe Gevers atteignent des prix importants : 8000 euros pour un lustre, 17000 euros pour un buffet en teck et pierre bleue. Les rééditions plus accessibles, dont la lampe CG01, sont devenues de grands classiques du design.
Lampe CG01, dessinée pour le restaurant Cap d’argent (1968), aujourd’hui fermé, réédition chez Axis71 (axis71.com) © H. CHARLES, D. MARLÉ
En l’absence de catalogue lié à l’exposition récente du Design Museum Brussels, cette monographie met en relief le travail de Gevers dans divers domaines, mais apporte également un regard sur l’homme. L’architecte et designer Glenn Sestig signe l’avant-propos et évoque un designer sculpteur : “Il sculpte des formes, des volumes, des matières et les assemble jusqu’à ce qu’ils deviennent des meubles. […] On peut le situer, selon les aménagements et les mobiliers, dans la mouvance de Charlotte Perriand, […] de Luis Barragán, de Josef Hoffmann ou de Dom Hans van der Laan”. Les textes, rédigés par Jean-Pierre Gabriel, se basent sur des échanges avec Christophe Gevers et des témoignages de proches, de clients, d’artisans, de collaborateurs et d’anciens étudiants. De 1959 à 1993, Christophe Gevers, en tant que professeur, a aussi marqué, de son approche atypique, trente-trois promotions de l’atelier “Mobilier et Agencement” à l’ENSAV La Cambre. Au fil des pages, on découvre l’architecture des maisons d’Ohain et de La Garde-Freinet, les intérieurs de la Maison dans les Bois, la Maison Double ou En dessous des toits, les restaurants Au Vieux Saint Martin, le Canterbury ou encore De Mechelse Poort, le mobilier, les éclairages et les objets…
Christophe Gevers, par Jean-Pierre Gabriel, éd. BE, 2024, 432 p., 95€ (en anglais)
Photo de couverture : Portrait de Christophe Gevers © Jean-Pierre Gabriel
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