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Martin Boonen

08 December 2023

L’Eventail – Que signifie pour Lallier cette reprise par le groupe Campari ?
Dominique Demarville –
C’est un changement dans la continuité. À mon arrivée début 2021, nous voulions continuer de construire sur ce qui avait été fait par Françis Tribaut, le précédent propriétaire. C’est lui qui avait créé cette série “Réflexion”, ainsi que la cuvée gastronomique de la maison, “Ouvrage”. Mais l’arrivée d’un groupe avec la puissance de feu de Campari va permettre de donner une nouvelle dimension à la marque. Grâce à leur réseau de distribution, nous pouvons désormais viser les marchés internationaux. Mais pour réussir ce grand saut, il fallait consolider la qualité des vins.

© Champagne Lallier/Campari Group

– Vous venez de grandes maisons (Mumm-Perrier Jouët, Veuve Cliquot), qu’est-ce qui vous a donné l’envie de rejoindre Lallier ?
Sans mauvais jeu de mot : l’effervescence du projet. Grâce à mes précédents projets professionnels, je suis à l’aise avec l’idée de l’internationalisation. Ensuite, j’avais envie de constituer une équipe et de continuer l’histoire entamée dans cette maison par les générations de propriétaires précédents. Je ne vais pas tout transcender tout seul, je ne vais pas tout révolutionner. Ça n’a jamais été ma façon de faire, où que ce soit. Je me considère comme une courroie de transmission. Je suis là pour faire passer un cap à Lallier, pas pour tout casser. C’est d’ailleurs ce que j’ai dit à Campari au moment de les rejoindre : je veux faire évoluer la maison, avec mon expérience, avec l’équipe en place et avec ceux qui nous rejoindront. C’est le travail d’une équipe qui fera la différence.

© Champagne Lallier/Campari Group

– Comment allez-vous vous y prendre ?
On a commencé par prendre le temps. Le temps est important dans le vignoble. Campari, il y a encore 3 ans, personne n’en parlait en Champagne. Il y a aussi une autre étape qui est importante, c’est celle de l’outil mis à disposition pour atteindre les objectifs qualitatifs. Progressivement on va aller plus loin dans certains axes chers à la maison : le travail sous bois par exemple. C’est un axe très fort et que je souhaite développer, tout comme le travail parcellaire et une gamme millésimée par exemple.

– Élevage sous bois, travail parcellaire, c’est le grand lexique bourguignon…
Effectivement, et il sera encore plus présent pour les cuvées Ouvrage, les plus gastronomique de Lallier. En Champagne, le travail en parcellaire est en train de prendre des dimensions très intéressantes. Mais pas question de faire du parcellaire pour faire du parcellaire. Il faut que le travail en parcellaire puisse renforcer la connaissance de notre terroir et enrichir la palette aromatique. Le vignoble autour d’Aÿ, ou nous sommes implantés, est très varié, en terme de sol, d’exposition, de pente… Il n’y a pas un seul vin d’Aÿ, comme il n’y a pas un seul vin de Mesnil-sur-Oger… Chaque secteur du vignoble a son intérêt et c’est l’avantage d’une maison comme Lallier, qui a des parcelles dans différents endroits, de pouvoir aller explorer les différences des différences géologiques mais aussi surtout les différences de maturité et d’exposition. Il y a évidemment des secteurs qui murrissent plus vite que d’autres. Ensuite, il y a un autre aspect : aller chercher des choses qui vont nous faire sortir un peu des sentiers battus. Le pinot meunier par exemple, est le plus représenté dans la vallée de la Marne. Et bien depuis deux ans, nous avons récupéré une parcelle de meunier, non pas dans la vallée de la Marne, mais sur la côte des blancs, territoire privilégié habituellement du chardonnay. Les vignes de cette parcelle ont plus de 60 ans, plutôt que de tout arrachés pour y mettre du chardonnay comme partout autour, nous pensons que cette incongruité va, au contraire, permettre de renforcer la personnalité organoleptique de nos champagnes.

© Champagne Lallier/Campari Group

– En parlant de cépage, tous les grands vignobles de France et d’ailleurs partent à la découverte de leurs cépages originels. La Champagne, elle, reste très attachée à sa sainte trinité : pinot noir, chardonnay et pinot meunier…
La cahier des charges de l’appellation champagne autorise en effet sept cépages différents, mais après ceux que vous venez de citer, les quatres derniers (l’arbane, le petit meslier et les pinots gris et blanc) ont presque disparus. Ces cépages, à part l’arbane, ne sont pas forcément autochtones en Champagne. Sur la côte des Bar, on trouve quand même quelque maison qui font de très jolis pinot blanc. La principale raison de la disparition de ces cépages dans le paysage champenois, c’est leur fragilité. Ils sont sensibles à l’humidité, au gel…

© Champagne Lallier/Campari Group

– Le changement climatique ne va-t-il pas favoriser leur retour ? Comme on assiste, pour les même raisons, au retour du petit verdot à Bordeaux dont on ne voulait pourtant plus…
C’est c’est effectivement une option. Mais je suis plus convaincu, parce nous y travaillons beaucoup collectivement, dans le cadre du projet Qanopée (qui rassemble les vignobles du Beaujolais, de Champagne et de Bourgogne) par l’apparition de nouveaux cépages, dits résistants, issus de croisements naturels. Ces nouvelles variétés seront résistantes au mildiou, au botrytis ou à l’oïdium. Ils seront non-seulement plus résistants aux maux de la vigne, mais aussi plus adaptés à l’évolution climatique : des étés plus chauds, des printemps plus pluvieux, des périodes de sécheresse plus régulières… Ils vont ouvrir une nouvelle ère d’innovation en Champagne.

© Champagne Lallier/Campari Group

– Il est donc possible d’innover en Champagne ?
Oui, on peut innover, mais il est vrai que c’est peut être plus difficile qu’ailleurs. Dans une région de vieille et grande tradition, il faut arriver à convaincre tout le monde, et cela peut prendre du temps. En Champagne, il y a une vraie dimension de travail collectif, et il faut le respecter. Je tiens à rendre hommage au CIVC (Comité Interprofessionnel des Vins de Champagne, ndlr) dont les trois missions essentielles sont la préservation de l’appellation champagne à travers le monde, l’organisation de la filière et le développement technique. Et la plus importante partie de son budget est justement allouée au développement technique. Cela nous aide beaucoup. Un autre aspect de développement possible est marketing. Et sur ce point, sans jeu de mot, la Champagne est en effervescence : la question environnementale est au cœur des préoccupations et les bouteilles comme les packaging n’y échappent pas. Le 3e axe de développement que je perçois est celui des échanges intergénérationnels. Chez Lallier, j’ai tenu absolument à faire entrer des jeunes dans la maison. Que ce que ce soit pour une maison familiale, une entreprise nationale ou un groupe international, le changement générationnel est très important et il faut y apporter beaucoup d’attention. Arrivé à une certaine maturité dans sa carrière, même si on a esprit curieux, même si on désire toujours innover, on est, qu’on le veuille ou non, beaucoup moins rapide dans le domaine créatif. Les jeunes qui ont intégré Lallier sont une formidable source d’innovation et d’inspiration. Il y a une volonté d’aller chercher la nouveauté, et c’est très important pour une maison comme la nôtre. Il faut donc permettre non seulement la transmission des anciens vers les jeunes, mais aussi l’expression de la jeunesse. Camille Seite, jeune œnologue qui nous a rejointe en 2021, n’a pas fait ses épaules en Champagne, mais à Toulouse, et elle a vinifié à Bordeaux. Je l’encourage allez voir ce qui se passe ailleurs, pour s’inspirer des pratiques industrielles hors de Champagne, et enrichir nos savoir-faire.

© Champagne Lallier/Campari Group

– La question du dosage est très à la mode en Champagne. Quel est votre approche à ce sujet ?
La Champagne n’échappe pas au goût de son époque qui a tendance à se détourner du sucre. Il faut dire aussi que, par le passé, les dosages excessifs pouvaient servir à masquer les lacunes et les défauts d’un vin. Les consommateurs qui depuis ne sont plus dupes, s’en méfient donc. C’est une des raisons pour laquelle nos champagnes sont faiblement dosés, entre 4 et 8 gr de sucre. Une autre grande raison est liée aussi au réchauffement climatique. Les raisins arrivent à meilleure maturité qu’avant, contiennent naturellement plus de sucre, ce qui nous permet de baisser les niveaux de dosage. Cependant, nous ne cédons pas à la tendance des “brut nature” qui ne sont plus dosés du tout, même si, si je ne devais écouter que mon goût personnel, je baisserai encore un peu le dosage car j’aime le champagne pour son énergie et sa vibration sur l’acidité. Mais il faut respecter aussi le goût des consommateurs et garder un équilibre entre les puristes et les amateurs. Il y a deux grands marqueurs dans le goût du champagne : la qualité de sa bulle et son acidité. Une bulle trop épaisse et vulgaire, ainsi qu’une acidité agressive sont légitimement rédhibitoires. Le sucre, que nous manions avec une grande parcimonie, nous permet de rester sur le fil et l’équilibre le plus précis. Nous l’utilisons un peu comme un chef se sert du sel pour assaisonner et relever un plat. Il faut noter aussi que le temps a son importance. On ne dose pas de la même façon un champagne qui a 15 mois d’élevage sur lie (soit le minimum prévu par l’appellation) qu’un champagne qui en a 30 ou 35. Le temps abaisse naturellement l’acidité et confère une plus grande rondeur aux vins. L’usage du sucre peut y être plus parcimonieux.

Dominique Demarville et la jeune œnologue Camille Seite contrôlent les moûts lors de la vendange © Champagne Lallier/Campari Group

– Comment avez-vous procédé pour R.020, votre première cuvée pour Lallier ?
J’ai beaucoup échangé avec Françis Tribaut. Ensuite, j’ai eu la chance de goûter l’ensemble des neufs itérations de Réflexion avant de me pencher sur R.020. Et puis je n’étais pas tout seul. Il y avait toute l’équipe en place, donc Cyrille Diniz, notre directeur Vignes et Vins. Il ne s’agit pas d’une révolution. Je ne travaille jamais comme ça. J’essaie au contraire de tirer parti de ce qui a été fait avant moi et d’amener l’ensemble encore plus loin, Nous avons eu le bonheur de travailler avec des raisins issus principalement du millésime 2020, qui, sans être facile, est un beau millésime. Les vins de réserve étaient eux aussi d’une grande qualité.

© Champagne Lallier/Campari Group

– Dans les futurs années, les cuvées Lallier vont pour la première fois intégrer du pinot meunier. C’était votre volonté ?
Absolument. J’ai toujours trouvé que le meunier en Champagne est exceptionnel et sous-côté. On le considère toujours un peu comme le parent pauvre des trois grands cépages champenois alors qu’il peut être d’une richesse aromatique formidable. C’est peut être simplement parce qu’il est majoritairement issu de la vallée de la Marne, une région de Champagne moins prestigieuse que la montagne de Reims ou la côte des Blancs et que, du coup, on en trouve peu qui soit classé premier cru et encore moins en grand cru. C’est vrai que c’est un cépage qui a tendance à évoluer un peu plus vite. C’est la raison pour laquelle le pinot meunier est très peu utilisé dans les cuvées de prestige où l’on attend des temps de vieillissement assez long. Mais je pense qu’on est en train de le redécouvrir chez nous. Et d’ailleurs, il faut rendre hommage aux vignerons qui travaillent à lui redonner ses lettres de noblesse. Certaines maisons obtiennent de très beaux résultats avec ce cépage, et, à mon humble niveau, j’aimerais que Lallier soit une de ces maisons qui participent à redorer un petit peu l’image du pinot meunier.

Dominique Demarville et Cyril Diniz, directeur Vignes et Vins, dans les vignes de Lallier © Champagne Lallier/Campari Group

– Quand pourra-t-on apprécier le résultat ?
Nous allons mettre en bouteille cette année un pinot meunier fantastique issu de la parcelle dont je vous ai parlé plus tôt. C’est d’ailleurs une très belle vendange pour ce cépage. Peut-être la plus réussie de nos cépages sur ce millésime. Ils rentreront petit à petit dans nos assemblages. La gamme Réflexion a toujours donné un léger avantage au pinot noir. Avec R.020, pour la première fois, nous avons inversé la tendance. Et avec R.021, nous passerons un nouveau cap en y intégrant pour la première fois, au côté du duo chardonnaypinot noir, nos nouveaux meuniers. C’est une étape supplémentaire.

© Champagne Lallier/Campari Group

– L’engagement de Lallier pour l’écologie est notable, mais la décision de passer au bio ne semble pas encore prise…
Je m’offre le luxe, sans jeu de mot, de la réflexion. Évidemment le bio est incontournable, mais pour moi, il n’est pas une fin, mais le début. Je suis très intéressé par la biodynamie. Pas une biodynamie ésotérique, mais une biodynamie pragmatique mais tout cela prend du temps. Mais nous avons déjà fait beaucoup. : nous avons obtenu la certification HVE3 (le plus exigeant des niveaux de certifications Haute Valeur Environnementale), nous créons des zones de diversité un peu partout dans notre vignoble, nous avons planté des plantes mellifères, nous laissons désormais les rangs entre les vignes enherbés, revoyons notre façon de travailler les sols… Mais cela prend du temps. Du temps pour les hommes de faire évoluer leur façon de faire et de penser. Pour être efficace, il faut que ces changements soient compris et assumés par tout le monde. Ensuite cela prend du temps pour le végétal aussi. Quand vous passez d’une culture conventionnelle à une culture biodynamique, il faut que la plante ait déjà emmagasiné suffisamment d’énergie et de puissance pour pouvoir tenir sans les béquilles chimiques auxquelles elle est habituée.

Photo de couverture :  © Champagne Lallier/Campari Group

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