Éric Jansen
23 January 2025
Lorsqu’il ouvre la porte de son “appartement historique”, Kamel Mennour est certain de bluffer son visiteur. Et dans son regard qui pétille, on devine qu’il est assez content de cet effet waouh ! Situé sur la place de l’Odéon, dans un bel immeuble haussmannien, l’endroit a longtemps accueilli son épouse, puis leurs enfants, mais à la naissance du cinquième, il a fallu se rendre à l’évidence : il n’y avait pas assez de chambres. Déménager, donc ? “Cette idée me fendait le cœur. J’ai tellement de souvenirs dans ce lieu. Toutes les fêtes qu’on a pu faire après les vernissages ! C’était vraiment, à un moment, the place to be…”
© Eric Jansen
© Eric Jansen
Retour sur ces années 2000 où tout commence pour Kamel. Il a ouvert une galerie à quelques centaines de mètres, rue Mazarine, et expose de la photographie. Déjà, dans son choix d’artistes, il ne se trompe pas : Jan Saudek, Peter Beard, Larry Clark, Stephen Shore, Roger Ballen. Mais très vite, il se sent à l’étroit dans cette discipline, souhaite conquérir d’autres territoires. Il plonge dans l’art contemporain, s’enthousiasme, encore une fois avec flair, pour Kader Attia, Abdel Abdessemed, Camille Henrot, et ouvre une plus grande galerie, à quelques rues de là. Elle sera suivie, plus tard, par deux autres espaces voisins, c’est dire si le marchand est fidèle à son quartier.
Sous un mobile de Petrit Halilaj, canapé de George Nelson pour Herman Miller, fauteuils de Roger Landault et table basse de Paul McCobb. Sur la cheminée, deux sculptures de Douglas Gordon et au mur, un tableau d’Huguette Caland, Granite I, 1985. © Eric Jansen
Alors déménager ? Soit, mais à une condition : garder “l’appartement historique” pour lui, comme un vestige de ce qui a été, un endroit pour rêver, réfléchir, écrire, se poser, sortir du tourbillon… “Gérer une galerie, c’est intense, entre les artistes, les expositions, les foires dans le monde, j’avais vraiment besoin d’une soupape. Ici, je fais le vide…” Du moins, en journée, car pas question de renoncer aux dîners d’après vernissages. Mais contrairement aux années passées, le décor a un peu changé… “C’est venu par accident. J’avais confié à Pierre Yovanovitch le soin de repenser les volumes et la circulation, comme il l’avait fait pour les galeries. Nous étions partis vers plus de sobriété pour accrocher des tableaux importants. Mais un soir, alors que les ouvriers avaient enlevé les moulures, j’ai eu un choc ! Avec ces cicatrices sur les murs, le décor était beau et touchant. C’était comme une œuvre en soi.” Kamel décide alors de laisser l’endroit ainsi, comme s’il avait été squatté. Les trous ne sont pas rebouchés, les peintures ne sont pas refaites et on devine à leur teinte rose poudré ou bleu dragée les pièces qui étaient précédemment des chambres d’enfant. L’impression est bien sûr forte et troublante, surtout en plein cœur de Paris, mais Kamel Mennour y ajoute plus de théâtralité encore, en y exposant des œuvres qui, elles non plus, ne laissent pas indifférent.
Le vestibule d’entrée est devenu une œuvre in situ de Daniel Buren. © Eric Jansen
La spectaculaire sculpture Xuan Wu de Huang Yong Ping traverse la salle à manger au-dessus de la table et des chaises de George Nakashima, et de l’œuvre sechsterfebruarzweitausendundzehn d’Ugo Rondinone. © Eric Jansen
Dès l’entrée, le ton est donné avec une intervention de son artiste star Daniel Buren. Vingt-cinq carreaux de marbre sont disposés de façon régulière sur un quadrillage dessiné au fusain. “Bien sûr, je lui ai laissé carte blanche. Quand vous avez une œuvre in situ d’un des artistes majeurs de notre époque, vous ne pouvez que lui dire merci.” Dans un genre beaucoup plus lyrique, voire fantastique, Kamel a installé une œuvre monumentale de Huang Yong Ping, un autre artiste de sa galerie, qui ne manque pas de faire sensation : baptisée Xuan Wu, c’est un squelette de serpent qui se dresse vers le plafond. La sculpture traverse la salle à manger, au-dessus de la table et des chaises de George Nakashima et d’une grande toile d’Ugo Rondinone. Nul doute que les collectionneurs invités doivent être sensibles à une telle mise en scène. “C’est plus calme chez eux”, glisse Kamel dans un sourire. Dans une autre pièce, une seconde œuvre de Huang Yong Ping imprime aussi sa marque : cette fois, c’est un chien qui urine contre un mur… Au-dessus, les amateurs reconnaissent une marquise de Philippe Parreno, “comme celle à l’entrée du MoMA.”
Sous une lanterne de Thomas Boog, toiles de François Morellet et de Lee Ufan, chaise de George Nakashima. On devine dans la pièce suivante les œuvres de Huang Yong Ping et de Mohamed Bourouissa, sous une Marquee de Philippe Parreno. © Eric Jansen
© Eric Jansen
Tête noire, d’Alberto Giacometti, ou le portrait du philosophe japonais Isaku Yanaihara. © Eric Jansen
Plus classique, le salon a conservé ses boiseries, mais son mobilier a été réduit au strict minimum : canapé de George Nelson pour Herman Miller, fauteuils de Roger Landault et table basse de Paul McCobb. Sur les murs, on reconnaît un tableau d’Huguette Caland, le dernier coup de cœur du galeriste. Au plafond est suspendu un mobile de Petrit Halilaj et sur le manteau de la cheminée, Kamel a posé deux sculptures de Douglas Gordon. Au centre de l’une d’entre elles se détache un petit bronze de Giacometti, comme un avant-goût de ce qui attend le visiteur dans la pièce voisine… Sous une lanterne de Thomas Boog qui a survécu à la “vandalisation”, deux œuvres de Lee Ufan et Tadashi Kawamata dialoguent en toute simplicité avec un grand tableau d’Alberto Giacometti… “C’est le portrait de son ami, le philosophe japonais Isaku Yanaihara.” Peut-être la seule œuvre qui n’est pas à vendre dans l’appartement : “Je l’ai offerte à ma femme”. Mais il y a fort à parier que Kamel Mennour ne se séparera jamais d’une autre toile, celle signée d’une certaine Baya, peu connue du marché de l’art. “C’est une artiste algérienne qu’Aimé Maeght a découverte et exposée en 1947. Il y a très peu d’œuvres. Je la collectionne et j’aimerais un jour la représenter.” Un choix pointu, très personnel, qui renvoie aussi à son propre parcours.
Sur la cheminée, une photo de Pierre Molinier et dans le reflet du miroir, une sculpture d’Anish Kapoor. © Eric Jansen
Subtil dialogue entre les cabanes en bois de Tadashi Kawamata et une toile de Sidival Fila, sur fond de mur patiné. © Eric Jansen
Un tableau plus difficile à reconnaître que les autres : il est signé de l’artiste algérienne Baya. © Eric Jansen
Sur la cheminée, une sculpture de Bertrand Lavier, Toko, 2008. © Eric Jansen
Né en Algérie, Kamel est arrivé à Paris à l’âge de deux ans. Il a suivi une scolarité classique, puis est entré à l’université d’où il est sorti avec une maîtrise en économie. Un parcours déjà méritoire, mais que dire de son aventure dans l’art ? Passionné, il découvre tout dans les livres, court les musées, les expositions, et se rêve galeriste. “Quand je sortais de la fac, je traînais avenue Matignon et j’entrais dans toutes les galeries. À l’époque, elles exposaient une peinture classique pour un public bourgeois, mais elles m’ont nourri.” Aujourd’hui, il y a ouvert un quatrième espace ! Entre-temps, le quartier – situé entre Gagosian, Christie’s, Sotheby’s et le Bristol – est devenu la vitrine de l’art contemporain. Et pour cause : les clients fortunés sont là… “J’ai été le premier. Ensuite, Emmanuel Perrotin, Almine Rech, Nathalie Obadia ont suivi…” On l’a dit, Kamel Mennour a du flair. Très vite, il a été adoubé par la Fiac et surtout par Art Basel, dont il fait toutes les éditions. Un tour du monde auquel il ajoute, aujourd’hui, la Belgique pour Ceramic Brussels. “La première édition a eu de très bons échos et la Belgique est une terre de collectionneurs curieux et enthousiastes.” Nul doute qu’ils sauront apprécier les œuvres d’Elizabeth Jaeger, invitée d’honneur du salon, mais aussi celles de Matthew Lutz-Kinoy et de Cameron Jamie, deux autres artistes maison qui travaillent la céramique. De futurs collectors, car on peut se fier à l’indéniable perspicacité de Kamel Mennour.
Photo de couverture : © Eric Jansen
Foire
Ceramic Brussels
Dates
Du 23 au 26 janvier 2025
Adresse
Tour & Taxis
3 rue Picard
1000 Bruxelles
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