Gwennaëlle Gribaumont
08 October 2025
Repérée à seize ans par Paolo Roversi aux Rencontres d’Arles, diplômée de Gobelins en 2015, révélée au grand public grâce à ses clips réalisés pour Angèle (Balance ton quoi, La Loi de Murphy), Charlotte Abramow n’a que trente-deux ans mais déjà une signature unique. Photographe et réalisatrice, elle bâtit un univers profondément cohérent, à la fois pop, tendre et politique. Chez elle, la couleur est langage. Le jeu, une posture critique. L’humour, une forme de résistance. Elle manie les codes de la publicité ou du clip pour mieux les détourner, glissant dans chaque image une charge symbolique, une revendication implicite. Ce qui pourrait sembler léger ou naïf est en réalité chargé d’une lucidité douce-amère. À travers les corps qu’elle montre (imparfaits ou marqués par le vécu), les tabous qu’elle bouscule et les récits qu’elle déconstruit, elle interroge la norme et ses mécanismes d’exclusion. Elle parle du corps des femmes sans le figer, de la sexualité sans l’assigner, de la fin de vie sans la dramatiser. C’est dans cet entrelacs que réside toute la force de son travail.
Désorientation du conte “Entre l’Est et l’Ouest”, dernier chapitre du livre, illustre la perte des repères spatio-temporels du père due aux séquelles neurologiques du coma. © Charlotte Abramow
Sept ans après la parution du livre MAURICE, Tristesse et Rigolade, ce projet aussi poignant que décalé prend vie pour la première fois sur les cimaises. Une exposition dont on ressort les yeux brillants, le cœur retourné. Dans ce projet, comme dans The Real Boobs ou Les Passantes, Charlotte Abramow confirme sa capacité à sublimer l’intime pour en faire un miroir collectif. La photographe nous prend la main avec douceur et nous entraîne dans ce territoire encore tabou qu’est la fin de vie, en y glissant de l’humour et de l’amour. Elle célèbre son père, Maurice, et à travers lui ressurgissent nos propres deuils et tous ces au revoir jamais prononcés.
Charlotte rend un hommage touchant à son père. © Charlotte Abramow
À rebours d’une société qui camoufle la vieillesse et esquive la maladie, Charlotte Abramow s’attaque à l’invisible en posant un regard lumineux mais lucide sur l’usure des derniers temps, les gestes maladroits de l’accompagnement, le vertige de la perte… en convoquant la dérision, l’absurde, la poésie. Le titre MAURICE, Tristesse et Rigolade, dit tout : la tristesse du déclin qui se colore d’éclats de rire enfantins. Loin d’être réduit à la fragilité, le corps devient matière vive, réinvestie par l’affection.
La photographe entraîne son père Maurice dans un jeu surréaliste. © Charlotte Abramow
MAURICE, Tristesse et Rigolade est une déclaration d’amour en technicolor. Un récit visuel entre documentaire et fable pop, où les couleurs claquent, les cadrages surprennent et les émotions débordent. À travers les yeux de sa fille, le départ de Maurice se dissout dans le rêve, tel un passage feutré entre ici et ailleurs, adouci par une esthétique surréaliste qui désamorce la brutalité du départ en l’enveloppant d’un dernier éclat de vie et de lumière.
Photo de couverture : © Charlotte Abramow
Exposition
MAURICE, Tristesse et Rigolade
Dates
Du 19 septembre au 21 décembre 2025
Adresse
Hangar
18 Place du Châtelain,
1050 Bruxelles
Horaires
Du mercredi au dimanche : 12h à 18h
Site
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