Une effrayante créature masquée hante le plateau du Théâtre Royal du Parc

Il faut dire que Thierry Debroux excelle en la matière comme l’atteste le succès de spectacles tels Le Masque de Fer, Arsène Lupin, Le Comte de Monte-Cristo, Les Trois Mousquetaires, Fantômas, Le Capitaine Fracasse et d’autres encore.

Cette fois, c’est à l’œuvre la plus connue de Gaston Leroux que Thierry Debroux s’est attaqué. Á nouveau avec bonheur et d’autant plus de mérite que ce genre de spectacle s’avère très onéreux à monter alors que le Parc, tout comme d’autres théâtres, a perdu cette année une bonne partie de ses subsides. Le Fantôme de l’Opéra, publié en 1910, aurait été inspiré à Gaston Leroux par des faits réels comme l’incendie de l’Opéra Le Peletier à Paris en 1873 et la mort d’une danseuse étoile dont les vêtements avaient pris feu. Mais sa source principale d’inspiration viendrait de rumeurs et de fausses nouvelles diffusées par une certaine presse de l’époque : les dédales et le lac souterrain de l’Opéra Garnier à Paris seraient hantés par un être maléfique. Gaston Leroux transformera ce personnage en un génie de la musique vivant reclus et masqué pour cacher son visage mutilé par d’horribles cicatrices de brûlures. C’est Cyril Collet qui interprète plutôt adroitement ce Fantôme défiguré qui reste malgré tout séduisant (trop ?).

Le rôle est complexe car il doit transmettre quasi sans transition des sentiments violents d’amour, de jalousie, de désespoir, de vengeance mais aussi de pitié et de générosité. Le Fantôme est follement épris de Christine, une jeune choriste à laquelle il enseigne secrètement l’art de magnifier son chant afin qu’elle détrône La Carlotta, la prima dona en place dont il déteste les vocalises. Cette diva jalouse et envieuse est interprétée avec virtuosité par la soprano française à la voix exceptionnelle Héloïse Poulet. Lorsque le Fantôme découvre que Christine aime le vicomte Raoul de Chagny (Jérémy Vliegen), sa réaction sera monstrueusement dévastatrice.

L’œuvre de Leroux a été suivie d’innombrables adaptations de tous genres dont la plus connue, The Phantom of the Opera, la comédie musicale d’Andrew Lloyd Webber créée à Londres en 1986. La version proposée aujourd’hui au Parc et la production britannique ont en commun de recourir à la musique et à la danse. Les airs ont été choisis et composés par le jeune et talentueux Dario Delbushaye et les parties dansées sont réglées par la chorégraphe Colette Coenraets qui a fait appel à huit jeunes danseuses parmi ses propres élèves. Ces grâcieux ballets qui parsèment la représentation allègent l’intrigue et adoucissent l’action, peut-être au détriment de l’atmosphère, à l’exception du tableau final du premier acte dont la musique oppressante et une chorégraphie brutale sont davantage en accord avec l’objet de la pièce. Colette Coenraets interprète aussi avec une sorte d’auto-ironie amusante le rôle de Sorelli, la maitresse de ballet, secrète complice du fantôme. Un autre personnage dont on ne découvrira toutes les facettes qu’à la fin de la représentation est Mr Montcharmin, le directeur de l’opéra campé avec drôlerie et une fausse autorité par Emmanuel Dell’Erba.

Enfin, il y a Romina Palmeri dans le rôle de Christine aimée par le Fantôme et le vicomte Raoul de Chagny qui pour elle s’affronteront en duel (réglé par le maître d’armes Jacques Cappelle). La jeune comédienne a du charme et du talent et est dotée d’une jolie voix. La mise en scène de Daphné D’Heur se montre inventive et propose une relecture plus nuancée, plus émotionnelle de l’œuvre originale. Elle la transmue avec adresse et sensibilité en une sorte de dramaturgie musicale d’un amour impossible. Les lumières conçues par Philippe Catalano et la scénographie de Saïd Abitar sont aussi bien faites pour à la fois cacher et révéler l’intrigue.

Un spectacle captivant, où peut-être on n’a pas suffisamment peur, à voir jusqu’au 6 décembre.

Photo de couverture : © Aude Vanlathem