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Simon Gronowski : « On ne peut pas oublier le passé car il peut revenir »

InterviewLivreShoa

Corinne Le Brun

26 November 2025

Dans son nouveau livre, le rescapé belge de la Shoah s’adresse surtout aux jeunes. Depuis plus de vingt ans, Simon Gronowski témoigne partout, en Belgique ou à l’étranger. A 94 ans, cet optimiste opiniâtre, cet infatigable messager de la mémoire reprend la plume. « Plaidoyer pour la paix » s’adressant à tous, surtout aux jeunes, transmet l’espoir, la réconciliation, l’amitié. Simon Gronowski nous a reçus chez lui. Sa parole est forte, claire. Son message pacifique fait du bien.

Simon Gronowski, avocat à la retraite, a raconté dans un livre (L’Enfant du 20e convoi, Ed. Racine, 2005) le geste incroyable de sa mère, qui l’a sauvé de la déportation en 1943 en le poussant d’un train en route vers Auschwitz. L’enfant juif, arrêté par la Gestapo à Bruxelles, a alors 11 ans. « Par miracle », il a survécu à la Shoah.

Eventail.be – Pourquoi écrire ce livre maintenant ?
Simon Gronowski –
J’ai voulu écrire un livre qui soit très accessible aux jeunes et aux moins jeunes où je raconte tout ce qui m’est arrivé et toutes mes idées actuelles, toutes les réactions que j’ai aujourd’hui mais d’une façon très simple, très proche. J’ai gardé le silence pendant soixante ans. Mais mes proches ont su l’essentiel : j’ai sauté du train, j’ai perdu ma famille. Dans les années 90, on a voulu que j’écrive mon premier livre. Pas facile, je ne suis pas écrivain. Plonger dans le passé, retrouver les lettres de mon père ou de ma sœur était très douloureux. « L’Enfant du 20e convoi » est un ouvrage technique, à grand renfort de détails. Il faut être précis comme un historien. Je veux prouver tout ce que j’écris parce que je veux lutter contre le négationnisme. Les négationnistes ne sont pas des fous, ils sont dangereux, ils sont des nazis. Ils veulent éliminer une guerre pour en commettre d’autres demain. C’est mon devoir de témoigner. Ce livre a changé ma vie.

© Didier Lebrun/Photonews

Plaidoyer pour la paix s’adresse principalement aux jeunes
Les jeunes sont l’avenir et, souvent, ils sont défavorisés car ils ne sont pas du tout informés. Ils ne savent rien de la guerre. Or ils sont le peuple de demain. Je trouve très important d’aller dans les écoles, je parle avec des enfants de 10-11 ans, l’âge que j’avais quand j’ai sauté du train. Mon évasion est un miracle. Je m’adapte à eux. Ils sont passionnés. Ils réagissent. Ils posent des questions.

– Comment avez-vous surmonté ce qui vous est arrivé ?
J’ai vécu mon enfance dans une famille d’amour et de culture. Cet amour m’a donné une force pour toute la vie. Et puis, j’adorais Ida, ma sœur. Elle était mon idéal. La perdre a été une immense douleur. Elle était une grande pianiste de musique classique. Quand j’avais 15, 16 ans, je me suis lancé dans le jazz, sans avoir appris la musique ni être capable de lire une partition. Le jazz, après la guerre, a été un facteur d’équilibre et d’intégration. C’est ça qui m’a sauvé.

© Xavier Piron/Photo News

– Le devoir de mémoire est -il une nécessité ?
Le devoir de mémoire, c’est le moyen essentiel de lutte contre l’extrême droite. Quand j’explique que mon drame familial est comparable à celui de milliers de familles, les gens sont choqués par ce crime car l’extrême droite c’est le berceau du racisme, du fascisme, du nazisme, de l’antisémitisme et de la haine dont j’ai été victime. Le devoir de mémoire dépend des historiens. Les témoins vont tous disparaître un jour. Actuellement, il n’y a pas un seul témoin de la guerre 14-18 donc le devoir de mémoire, c’est le travail de l’histoire avec des documents, des photos d’époque … Les films de fiction, la littérature, la bande dessinée, les tableaux aident à mieux comprendre. On ne peut pas oublier le passé car il peut revenir.

– Avez-vous peur de la remontée de l’antisémitisme et de l’extrême droite ?
Je n’ai pas peur du tout parce que je veux mettre les jeunes en garde. Il faut être vigilant, la menace est toujours présente. Mais je suis plein d’espoir pour l’avenir parce que je crois que l’homme est bon sauf quelques exceptions comme Hitler, comme Dutroux, que la société doit gérer. L’homme mauvais représente une minorité. En général, l’homme est bon. C’est pour cela que j’ai confiance dans l’avenir. Si personne ne s’intéressait à ce que je fais, ce serait inquiétant.

© Bert Van Den Broucke/Photonews

– Vous avez perdu votre foi en Dieu. Pourquoi ?
Je croyais en Dieu, mais j’ai vu l’abomination. Je me suis dit que si Dieu existait, il n’aurait pas permis qu’on tue ma mère et ma sœur quand j’avais 11 ans, et mon père aussi. Donc, j’ai perdu la foi. Je suis devenu athée. On peut être à la fois juif et athée. C’est une question de choix. Certains mettent même une étoile de David, ils s’affichent. Moi, je n’aime pas les étiquettes. Et je crois que je suis un mec comme tout le monde. Je me considère comme juif d’origine, origine que je n’ai jamais reniée. Je suis aussi fils de sans-papiers, c’est aussi très important.

– Quel regard portez-vous sur le conflit israélo-palestinien ?
La guerre n’a pas commencé le 7 octobre 2023. Depuis 100 ans, en 1917 précisément, il y a eu constamment des attentats de part et d’autre. Et des drames. Des villages entiers palestiniens ont été massacrés. Ma neutralité se situe entre ces deux antagonistes. Parce qu’en fait, j’aime bien les deux peuples. Alors, je ne prends pas parti. Mais je défends les victimes. Toutes les vies sont égales. La vie d’un enfant palestinien a autant de valeur que la vie d’un enfant israélien. En cas de légitime défense qui est un principe de droit, la réaction ne peut pas être disproportionnée. Le Hamas a tué mille personnes, pas seulement des Juifs. Mais les Israéliens ont tué, bombardé des milliers de personnes. Il s’agit d’une agression lâche contre les civils. Je ne sais pas si c’est un génocide, je suis prudent. Mais je dis que c’est un massacre. Je parle au nom de toutes les victimes, de toutes les barbaries. Et je suis formel : je suis contre les bombardements israéliens à Gaza.

– Que vous inspirent l’antisémitisme, l’extrême droite ?
S’il y a une recrudescence actuellement spectaculaire de l’antisémitisme, c’est à cause des bombardements de Gaza. La première règle du judaïsme, c’est « Tu ne tueras point.» Je ne reconnais pas le judaïsme dans la politique israélienne. Il faut résoudre le problème du Proche-Orient pour régler la question de l’antisémitisme. Il y a toujours eu des antisémites. Mais pas dans ces proportions-là. Il y aura une solution parce qu’il n’y a pas de guerre éternelle. Un jour, ça se termine. Beaucoup de drames existent un peu partout. Mais il y a toujours des antisémitismes de l’extrême droite. Parce que l’extrême droite, c’est le danger. On peut aussi le combattre par le vote. Tous les partis belges sont démocratiques sauf un, le Vlaams Belang. Il ne faut pas voter pour ce parti. Et je dis aux Français aussi : « Ne votez pas pour Le Pen. »

Photo de couverture : © Joel Hoylaerts/Photo News

Ours polaires, copies blanches

Art & Culture

Man Proposes, God Disposes (“L’homme propose, Dieu dispose”) est une toile de Sir Edwin Landseer de 1864, illustrant la tragique expédition Franklin en Arctique. Le tableau fait partie de la collection de l’université Royal Holloway (Londres).

Informations supplémentaires

Livre

Plaidoyer pour la paix

Auteur

Simon Gronowski

Éditeur

Racine

Sortie

Novembre 2025

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Livres

À 78 ans, Willy Braillard se raconte dans Même pas peur ! Une vie la course en tête (Éditions Maïa), une autobiographie qui a tout d’un roman d’aventures. Pilote audacieux, entrepreneur visionnaire et passionné de sport, il livre le récit d’une existence menée tambour battant, où la vitesse n’a jamais été un frein mais plutôt une raison d’avancer.

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