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JC Darman

19 July 2023

Si Hugo romancier et poète fut adulé de son temps, il n’en alla pas de même pour l’auteur dramatique. La plupart de ses pièces furent fraichement accueillies par la critique et certaines furent même de véritables fours. À l’exception de Lucrèce Borgia qui, dès sa création en 1833, emporta un franc succès. Il est vrai que ce mélodrame recèle à profusion les ressorts dramatiques qui ont toujours envoûté les publics de tous temps : meurtre, inceste, adultère, vengeance, la beauté d’une femme vénéneuse et autres destinées abominables et tragiques. À cet égard, Lucrèce Borgia atteint sans doute un sommet.

© Aude Vanlathem

La pièce contient trois éléments essentiels du théâtre hugolien : l’histoire, la grandeur poétique et le grotesque. Antonin Artaud la considérait comme « un drame de l’amour incestueux et de la culpabilité fatale, dont le dernier acte est un chef d’œuvre de construction poétique et de violence hallucinatoire. » Inutile de dire que la tâche du metteur en scène et plus encore celle des comédiens présente bien des difficultés. Ici elles sont surmontées avec intelligence et inventivité. La mise en scène de Emmanuel Dekonink (qui avait déjà monté Frankenstein à Villers en 2013) se montre à la mesure de ce monument du théâtre romantique : spectaculaire et foisonnante. Elle est enrichie de trouvailles originales et inattendues.

© Aude Vanlathem

Par exemple, les compagnons d’armes de Gennaro (le fils né des amours incestueuses de Lucrèce avec son propre frère, qui ignore tout de ses origines et qui hait les Borgia) sont présentés comme une sorte de chœur maquillé et dansant (chorégraphie de Maria Clara Vila Lobos). Autre surprise, le rôle de la princesse Negroni est tenu par une chanteuse lyrique (Julie Prayez). Le décor se réduit à des tours mobiles en treillis métallique dont l’avantage principal est de laisser voir les murs des ruines de l’abbaye. Les éclairages de Christian Sténuit illustrent bien à propos le plus fameux oxymore de la langue française que l’on doit à Corneille : « cette obscure clarté … ».

© Aude Vanlathem

Les comédiens se montrent à la hauteur. Gubetta, l’exécuteur des basses œuvres de Lucrèce, est joué avec une drôlerie inquiétante par Denis Carpentier. Il incarne la part de bouffonnerie qu’on retrouve dans la plupart des œuvres de Victor Hugo. Don Alphonse d’Este, duc de Ferrare, quatrième mari de Lucrèce (fille naturelle du pape Alexandre VI) va imposer à son épouse la plus cruelle des vengeances. Le rôle est joué avec une froide fourberie par Georges Lini. Les face-à-face du couple comptent au nombre des scènes les plus intenses de la pièce. Quant à l’interprétation du rôle écrasant de Lucrèce par Catherine Conet, elle est remarquable. Cette excellente comédienne, habituée des lieux (c’est son cinquième spectacle à Villers-la-Ville), parvient à transmuter l’effroyable noirceur du personnage en une douleur de mère qui n’a pas pu aimer et qui aspire à la rédemption (thème éminemment hugolien).

Nuit d’Ivresse

La rencontre bien arrosée d’une majorette paumée et naïve avec un présentateur de télé cynique et prétentieux. Tandis que de monstrueuses passions hantent les nuits de l’abbaye de Villers, des rires tonitruants résonnent sur les rives du lac de Genval. C’est là, que le Théâtre de la Toison d’Or (TTO) a choisi de présenter son spectacle d’été : Nuit d’ivresse de Josiane Balasko. La pièce fut créée au Splendide en 1985 avec Michel Blanc et adaptée au cinéma un an plus tard, cette fois avec Thierry Lhermitte. À Genval, on peut presque parler d’une adaptation (très réussie) tant la mise en scène de la directrice du TTO, Nathalie Uffner, a imprégné la comédie d’une savoureuse sauce belge.

© TTO

© TTO

Odile Matthieu y est la tonitruante majorette paumée et candide qui réussit avec beaucoup de talent à amuser le public avant de l’émouvoir. Thibaut Nève incarne un animateur de télévision ringard et prétentiard, mais qu’il parviendra finalement à rendre touchant. Julien Van Boeckel est un barman tocard et gaffeur qui parle avec l’accent des cités. Les rencontres de ces trois personnages sont abondamment arrosées de champagne, ce qui intensifie, c’est bien connu, les sentiments et les émotions. Un spectacle très divertissant, à voir (installé dans des transats) jusqu’au 5 août et qui sera sans doute repris la saison prochaine au TTO, chaussée d’Ixelles à Bruxelles. Spectacle à 20h45. Plus d’informations et réservations ici

Photo de couverture : © Aude Vanlathem

James Ensor, Les Masques singuliers

Foires & Expositions

Informations supplémentaires

Pièce

Lucrèce Borgia, de Victor Hugo

Adresse

Abbaye de Villers-la-Ville
Rue de l’Abbaye, 55
1495 Villers-la-Ville

Dates

Jusqu’au 5 août*

* le spectacle sera repris la saison prochaine, du 14 au 25 mai 2024, au Théâtre Jean Vilar de Louvain-la-Neuve

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